Rapprocher Les Architectes Des Industriels (Marianne Leroux / Le Moniteur) Kaynak : 12.01.1990 - Le Moniteur | Yazdır

Architecte installé à Istanbul, directeur du Centre du bâtiment de Turquie, Dogan Hasol est également président de l’Union Internationale des Centres du Bâtiment (UICB). C’est sous cette triple casquette qu’il est intervenu lors du 30 è anniversaire du Centre Infobâtir à Lyon, sur le thème: « Architecture et matériaux », Il fait ici un rapide bilan de la question, et donne un avis prospectif.

Quels rapports établissez-vous entre architecture et matériaux?

La construction est l’une des activités humaines les plus anciennes, parfaitement indissociable, bien entendu, des matériaux dont elle a pu disposer au cours des siècles: ils en constituent le fondement, l’essence.

Cela dit, il ne faut pas oublier la technologie, qui a toujours, elle aussi, influencé la forme des bâtiments.

La cathédrale gothique, par exemple, est typiquement le produit d’une technique spéciale qui a d’ailleurs eu un effet sur les matériaux : en instaurant les croisées d’ogive, qui réduisaient les portions latérales, et les arcs-boutants et contreforts, sortes de bras capables de canaliser eux-mêmes les efforts, l’architecture gothique a supprimé des voûtes et des murs toute matière superflue.

Ainsi, on peut dire que l’oeuvre gothique a lutté contre la matière sans toutefois introduire de progrès technique réel dans la manière de construire un édifice.

Ce sont toujours les mêmes méthodes de construction – et, d ‘ailleurs, les mêmes matériaux! – qui sont employés.

Comment en est-on arrivé à l’architecture moderne?

Grâce à la conjonction de plusieurs facteurs dont, en particulier, la révolution industrielle: le XIX siècle est en effet, avant tout, un siècle d’innovations industrielles, même si l’acier et le béton armé qui seront les matériaux fondamentaux de l’architecture du XX è siècle ont été in-ventés, en fait, au siècle précédent, Grâce à ces innovations, pour la première fois, l’architec-ture n’est plus une répétition des formes anciennes, et l’on assiste chez certains architectes à une vaste prise de conscience de la puissance des ingénieurs et des grandes entreprises.

Très vite, on décide de faire bénéficier l’habitat du progrès technique que connaissent des matériaux déjà utilisés depuis longtemps.

Ainsi, on façonnait le fer depuis près de 5 000 ans, mais on apprend seulement au début du XX è siècle à l’employer de facon importante dans la construction, au moment où l’inspiration créatrice semblait s’appauvrir. Le fer est l’exemple type du matériau qui permet, si la volonté créatrice sait en tirer parti, un nouveau langage architectural.

Et le béton armé?

Le développement de son utilisation date de 1890, quand Anatole Baudot l’a utilisé pour la première fois à grande échelle pour le toit de l’église Saint-Jean de Montmartre. Jusqu’aux an-nées 40, les bâtiments en béton armé restent plutôt l’oeuvre d’ingénieurs que d’architectes. Ces derniers l’ont adopté quand ils ont réalisé que ce matériau permettait de couvrir facile-ment et économiquement des espaces très larges.

Le béton armé est un matériau qui a bien vieilli, puisqu’il se décline de nos jours sous divers procédés: postcontraint, précontraint, voiles minces, et, surtout, comme l’élément fonda-mental de la prefabrication.

En ce qui concerne les formes architecturales, l’utilisation du béton armé et de l’acier a permis de concentrer les éléments de résistance en une mince ossature. Les murs extérieurs deviennent de légères cloisons suspendues, tantôt de verre, tantôt de matière isolante.

Ainsi, le mur en tant qu’enveloppe non portante appartient typiquement à l’architecture du XX è siècle.

Qu’en est-il aujourd’hui?

Les formes créées de nos jours sont très loin de l’influence de la tradition. Pendant des siècles, on a construit avec des matériaux traditionnels finalement peu nombreux: la pierre, le bois, la brique…

L’architecture, anonyme ou pas, utilisait beaucoup les matériaux locaux, sauf pour les mo- numents et les bâtiments publics importants.

Les techniques étaient simples, les détails étaient bien connus. Même si l’acier et le béton armé semblent toujours être les seuls matériaux structurels de notre temps, l’aluminium, le verre et les plastiques ont contribué à la création et au développement de l’architecture du XX è siècle.

Je note aussi l’apparition d’un nouveau matériau: le textile, qui me semble être porteur de beaucoup d’espoir pour toutes les formes d’architecture actuelle. A ce sujet, je pense d’ailleurs que les architectes devraient travailler plus étroitement avec les industriels, car ils peuvent influencer les produits sur le plan technique, mais aussi sur celui du design, qui est une des plus grandes faiblesses de ces produits actuels.

Mais, au-delà des matériaux mêmes, ce qui est vraiment une grande nouveauté, c’est que les architectes doivent toujours mieux connaître les possibilités et les limites de tous ces nou- veaux matériaux. La grande diversité des produits offre des possibilités presque infinies de détails. Le textile; par exemple; me semble être porteur de beaucoup d’espoir.

Les quarante centres du bâtiment qui se sont multipliés dans différents endroits du monde depuis 1958 s’emploient à les y aider.